Sunday Times c. Royaume-Uni (No 2)

Cour européenne des droits de l’Homme
26 novembre 1991

Faits

Les requérants sont l'éditeur et le rédacteur en chef du journal national du dimanche, The Sunday Times. Ils se plaignent des injonctions interlocutoires imposées par les tribunaux anglais sur la publication des détails du livre Spycatcher et des informations obtenues de son auteur, M. Peter Wright. Une injonction interlocutoire est une restriction temporaire ordonnée par un tribunal, en attendant que le litige soit tranché lors du procès au fond. Le livre Spycatcher est un recueil de mémoires de son auteur, un ancien haut responsable du service de sécurité britannique. Le livre traite de l'organisation opérationnelle, des méthodes et du personnel de ce service et comprend également un compte rendu des activités illégales présumées du service de sécurité. Le procureur général d'Angleterre et du Pays de Galles a engagé une procédure pour empêcher la publication de Spycatcher, au motif que la divulgation de ces informations constituerait une violation du devoir de confidentialité de l'auteur. 

La plainte

Les requérants alléguaient qu'ils avaient été victimes d'une violation de l'article 10 de la Convention, qui protège la liberté d'expression, en raison des injonctions interlocutoires. Ils invoquent le fait que le livre a été publié aux Etats-Unis, ce qui a eu pour conséquence de détruire la confidentialité de son contenu. 

Arrêt de la Cour

La Cour constate tout d'abord que les injonctions ont constitué une ingérence dans la liberté d'expression des requérants. Ces ingérences étaient prévues par la loi et poursuivaient deux buts légitimes, le maintien de l'autorité du pouvoir judiciaire et la protection de la sécurité nationale. La question était de savoir si l'ingérence était nécessaire dans une société démocratique. La Cour a rappelé les grands principes de sa jurisprudence, à savoir que les restrictions préalables ne sont pas interdites en tant que telles par l'article 10, mais qu'elles doivent être examinées avec le plus grand soin par la Cour, en particulier lorsqu'il s'agit de la presse. 

En ce qui concerne l'objectif de maintenir l'autorité du pouvoir judiciaire, bien que la publication du livre pendant le procès aurait pu être préjudiciable à la demande d'injonctions permanentes de l'Attorney General, la Cour a estimé qu'il ne s'agissait pas d'une raison suffisante étant donné que la confidentialité du contenu du livre avait été détruite par sa publication aux États-Unis. 

En ce qui concerne les intérêts de la sécurité nationale, la Cour a souligné que les injonctions sont normalement demandées pour préserver le caractère secret d'informations qui doivent rester secrètes. Toutefois, en l'espèce, les informations avaient déjà perdu ce caractère secret. Par conséquent, l'objectif des injonctions était plutôt de promouvoir l'efficacité et la réputation du service de sécurité, ce qui n'était pas un objectif suffisant pour justifier l'ingérence. Les restrictions ont empêché les journaux de fournir des informations, déjà disponibles, sur des questions d'intérêt public légitime, et l'ingérence n'était donc pas nécessaire. La Cour conclut à la violation de l'article 10.

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Dernière mise à jour 13/11/2023